La croix

La croix

Cette croix, que j'avais plantée là où tu reposes maintenant, c'est toi qui l'a faite.
Ce fut le jour où les gens du voyage (ça fait bien d'appeler les manouches, les room ... comme çà), s'installèrent sur le parking entre le terrain de rugby, et la propriété de la mère du député. Les femmes débarquèrent pour se pomponner dans les toilettes du camping. Elles emportèrent quelques bricoles qui traînaient çà et là devant les caravanes des ouvriers partis en week-end dans leurs familles.
J'avais accroché à l'extérieur de la caravane sous l'auvent, à droite un masque de chèvre, et à gauche un masque d'âne. Entre les deux tu accrochas une croix en me disant: "Avec ça ils n'oseront jamais rien prendre".
Je fis une prière, à la pensé de ta parole sacrilège. Et je me demandais même si je n'allais pas enlever cette bizarrerie de bois, toute biscornue.
"Quand l'homme fut précipité sur terre, il regarda à droite, puis à gauche, puis en bas puis en haut. Il avait donc parcouru le monde du regard". J'ai rigolé. Tu m'as dit: "Hé bien essaie de bouger la tête dans la direction haut gauche" (en diagonale). Ce n'est qu'au deuxième essaie que je me senti à l'aise dans ce mouvement.
Le surlendemain, ils étaient partis. La députation avait réussi à faire venir un car de CRS: Pour les inviter à partir en voyage.
J'ai raccrocher la croix sur la caravane. Bien sur au-dessus de toi elle ne pesait pas beaucoup, mais un enfant aurait pu l'emporter, l'écraser par mégarde Cette croix je l'ai remise à l'endroit que tu as choisi car c'est bien là qu'elle est le mieux. C'est surtout pour ne pas me créer des « histoires », tu n'es pas au cimetière.
Le printemps va arriver, et l'herbe va pousser au-dessus de toi. Tu reposes à coté du tuyau qui conduit à la bouche d'incendie. Sur la parcelle de l'autre côté de la route va se construire des pavillons, genre de prisons qui n'ont jamais voulu de nous. Nous sommes ces nouveaux indiens, qui vont à droite à gauche, à la recherche d'une prairie ou dormir et d'un truc pour gagner quatre sous. Et certains ont perdu épouse et enfants. Pourquoi aurais-je eu à clamer ta mort ! A l' heure d' aujourd'hui personne ne m'a parlé de toi.